Voici mon gilet jaune siglé au nom de l’EIVP, comme vous pouvez le voir, il est intact, pas une tache d’huile, même pas la moindre salissure... Un peu un comble pour une école spécialisée dans le génie urbain, vous ne trouvez pas ?
Ah si, nous avons tout de même pu goûter aux joies du chantier en visitant une piste cyclable sur le point d’être livrée, ça en jette !
C’est donc pour cette raison que je suis face à vous, peut-être que vous êtes ingénieur, entrepreneur, chef d’entreprise, ou encore étudiant... Moi, Je suis ici pour porter la voix, porter la voix de ceux qui ne m’entendront pas aujourd’hui, ceux que l’on ne voit pas dans cet amphi, ceux que nous serons pourtant amenés à diriger... les ouvriers...
L’EIVP et les autres écoles d’ingénieurs plus généralement, se félicitent pourtant d’avoir mis en place le fameux stage ouvrier...
Chaque année, la tradition veut que les premières années de l’école fassent un stage de 3 semaines, en immersion totale dans le monde ouvrier.
Il ne s’agit pas de simplement faire mumuse avec des perceuses ni même d’enfin rentabiliser les EPI que nous avions acheté pour visiter cette fameuse piste cyclable, Mais plutôt de découvrir le statut d’ouvrier et toutes les difficultés sous-jacentes, pour que nous puissions plus tard, les encadrer nous-même. Pour vous raconter simplement mon expérience, j’ai regardé serge 50 ans, poser du béton sous mes yeux émerveillés... pendant 3 semaines... un poil plus fun que la piste cyclable...
Mais Il est évident que ces 3 semaines ne seront pas suffisantes pour saisir tous les enjeux du monde ouvrier, cela prendrait... au moins quelques années... ne serait que pour nous laisser le temps de saisir les difficultés liées à ce domaine... Et pourtant, notre prochain stage sera justement dédié à l’encadrement d’ouvriers, il est explicitement précisé que nous devrons prendre le rôle d’un chef d’équipe, alors quand est-ce que l’on devra faire ca... Cet été... Attendez quoi ?! cet été ?! Oui ! cet été ! Mais d’ici là quel est le programme ?
Et bien ca tombe bien, j’ai pris soin de vous imprimer ça juste avant de venir... Alors voyons voir...
- Résistance des matériaux
- Soirées
- Etude des Structures
- Soirées
- Bois
- Soirées
- Béton armée
- AAAAAH semaine au ski !
Enfin bref, vous l’aurez compris pas mal de soirées ! Mais dans tout ça, quand est-ce que l’on s’intéresse à l’être humain derrière nos projets ? Mais est-ce tout ca est suffisant, suis-je à même de saisir les enjeux auxquels font face les ouvriers ? Comment peut-on sortir d’une école d’ingénieur, qui plus est dans le génie civil sans n’avoir jamais entendu un seul mot de la bouche des ouvriers ?
Lorsque nous serons ingénieur, nous devrons évidemment répondre à des logiques économiques, je ne le nie absolument pas, mais une chose est sure, nous serons pas en mesure de comprendre concrètement la réalité du terrain. Un BAC+5 ne devrait pas autant nous isoler du monde réel, au contraire, nous avons du temps, beaucoup trop de temps, alors pourquoi ne le consacrer au concret ?
La responsabilité sociétale des ingénieurs, c’est un devoir moral. C’est notre capacité à transformer les chiffres en humanité, les plans en espoir. Soyons cette génération qui choisit de voir, d’écouter, et d’agir.
Nous pouvons faire bouger les choses, seulement, il faudrait commencer dès maintenant, sur les bancs même où vous êtes assis...
Faisons en sorte que l’EIVP ne soit pas seulement la première école du génie urbain, mais plutôt la première école du génie humain.
Gaël Maignan, le 5 décembre 2024